dimanche 22 janvier 2012

Logique

Ceci est la 2ème partie d’une série en trois partie sur le vote. La 1ère est ici, la troisième est enfin publiée.

Je parlais du sentiment de l’inutilité du vote qui nourrit l’abstention. Parmi ce qui participe à donner ce sentiment, le comportement moutonnier qu’on appelle abusivement vote « utile » que je nommerai vote futile par la suite, joue un rôle non négligeable.

Qu’est-ce que le vote futile ? Il en existe au moins deux variantes. Dans la première, on vote au premier tour pour celui « qui a une chance » de gagner au second (ce qui pousse en général les gens de gauche à voter vers le centre). C’était essentiellement comme cela qu’on votait avant 2002 et cela assurait une bonne part du vote PS. En 2007 encore, on peut attribuer une bonne part du vote Bayrou à ce genre de comportement : pensant que Ségolène Royal « n’avait aucune chance » face à Sarkozy, beaucoup d’électeurs de gauche se sont rabattus sur un vote Bayrou parce qu’avec lui, « on avait une chance » d’éviter le pire. Dans la deuxième variante, on vote au premier tour pour celui « qui a une chance » d’aller au second, c’est ce qu’on appelle aussi « éviter un nouveau 21 Avril ». C’est la grande trouvaille de la décennie pour les partis dominants, qui leur permet de maintenir leur domination alors même que la détestation qu’ils inspirent est à son comble. En un sens, le PS et l’UMP sont donc grandement redevables au FN pour son rôle d’épouvantail rabatteur d’électeurs déçus.

J’utilise des guillemets dans le paragraphe précédent afin de marquer le caractère de « on dit » des affirmations. Car c’est bien sur une rumeur que l’on se fonde quand on se lance dans le vote futile. Une rumeur légitimée par le système médiatique et l’aspect pseudo scientifique de sondages mais une rumeur quand même. Et comme toutes les rumeurs, les conditions de sa production sont sujettes à bien des manipulations.

Production d'une rumeur

Trois temps pour cette production :

Primo, le système médiatique fait le black-out sur la plupart des candidats. En général, on n’entend parler de personne sauf du PS et de l’UMP. Parfois, quand les médiacrates ne sont pas satisfaits de ce que leurs proposent ces deux partis, ils vont chercher un autre candidat de droite pour lui donner aussi une exposition médiatique (Bayrou, par exemple, ou Balladur). Et bien sûr, même si on ne l’invite pas à s’exprimer, le FN est toujours présent. Cité par tous, il est censé agir comme un épouvantail. Ce black-out provient tout autant des affinités des médiacrates (souvent copain comme cochons avec les gens bien des partis dominants) que de leur paresse intellectuelle. Pour eux, deux partis ça suffit, si on en rajoute de trop, ils ne s’y retrouvent plus.

Secundo, dans ces conditions, il est bien normal que l’opinion admise soit que les deux principaux prétendants sont au PS et à l’UMP avec le FN en embuscade. Le triste de l'affaire, c'est qu'on admette trop facilement cette opinion. En effet, pourquoi écouter un expert politologue ou éditorialiste qui n’en sait au fond pas plus que toi ? Ou un sondage qui, s’il mesure parfois quelque chose sur le moment (et avec quelles barres d'erreur ?) n’a aucune valeur prédictive ? On gobe donc, on gobe.

Tertio, les jeux sont faits. La position dans les sondages et l’air du temps (qui est une création des quelques têtes parlantes qui monopolisent l’espace médiatique plus qu'une réalité objective) déterminant à la fois l’écho donné aux déclarations du candidat et sa capacité à s’attirer le vote futile, la première prophétie (pipée) détermine les sondages et les avis éclairés qui suivent et elle devient auto réalisatrice. Quand par malheur, quelqu’un apprend qu’il existe d’autres candidats plus compétents, plus respectueux de la démocratie et avec des programmes bien meilleurs, il a déjà suffisamment en tête que les Français n’aiment que la sociale démocratie tirant à droite (le PS) ou la droite tirant vers l’extrême droite (l’UMP) pour imaginer que son choix en faveur d’un autre candidat plus proche de ses idées pourrait bien être suivi par une grande masse de ses concitoyens si il se décidait.

Dans ce jeu, j’ai cité l’influence des médias et des sondages mais il ne faudrait pas non plus oublier l’influence des grands partis eux-mêmes. Ceux-ci, à défaut de faire campagne sur leurs idées (ce qui ne serait peut-être pas si bien apprécié des électeurs), se contentent souvent de décourager l’électorat ou de l’effrayer. Pour décourager les braves gens, le jeu consiste à renforcer la croyance qu’ils sont les seuls vainqueurs possibles. Et pour les effrayer, rien de tel que d’exagérer le danger FN (ce qui en soi participe à effectivement à l’accroître) et de crier à la traîtrise et à la collusion avec l’extrême droite dès qu’on se permet la moindre critique sur leur compte.

Face à tout cela, soit on fait une croix sur la démocratie soit on revient à une attitude saine, simple et efficace : voter pour ses idées. Car, c’est une banalité de le dire mais quand on oublie de voter pour ses idées, il ne faut pas s’étonner que notre vote ne permette pas qu’elles soient défendues. D’autre part, non seulement, on finit par ne pas voir ses idées représentées mais encore, le vote futile est totalement inefficace pour ce à quoi il prétend servir. C’est

Le triple paradoxe du vote futile.

Le caractère hyper répandu du vote futile est à l’origine du premier paradoxe. La masse qui vote futile finit par donner un sentiment d’impuissance à ceux qui ne cherchent qu’à défendre ce qu’ils croient juste. Le vote futile est donc une machine qui nourrit l’abstention et le vote FN. Certes, il y a ceux qui se résignent à voter pour les candidats que l’establishment leur a choisi mais il y a aussi ceux qui s’abstiennent par sentiment d’impuissance et il y a ceux qui votent FN parce que ça les énerve et que, dans les sondages et par son omniprésence dans les commentaires, le FN leur apparaît comme le seul susceptible de troubler le jeu. Le risque est donc que le vote futile qui prétend servir de rempart contre l’extrémisme le nourrisse au contraire.

Du point de vue psychologique individuel, il y a aussi quelque chose de paradoxal avec le vote futile. En effet, quand on vote futile, on trouve à la fois que notre voix n’a pas de poids (puisqu’on dédaigne de voter pour ses idées) et que notre voix est super importante (puisqu’on imagine que sans nous, le gros parti pourrait bien partir à la trappe). Pour moi, je préfère me dire, "si mon vote ne pèse pas, je peux aussi bien voter pour ce qui me plait". Ou encore, "si mon vote pèse, il faut que je vote pour mes idées".

Le dernier paradoxe se manifeste sur le plan historique. Le vote futile pour le PS est souvent présenté comme un expédient temporaire. On croit éviter le pire en assurant le départ de Sarkozy afin qu’à la prochaine, une fois débarrassé du monstre, on puisse enfin voter pour ce qu’on aime réellement. Or cela a toutes les chances de plutôt nous entraîner dans une séquence historique longue de dérive droitière de notre société. En effet, le PS, en se contentant d’un appel au vote futile et à un « tout sauf sarko » vide de programme, abandonne la lutte idéologique. Pendant ce temps, la droite qui sert un capital jamais repu continue son activisme (bien aidée en cela par le « pluralisme des médias »). Résultat, la société dérive à droite. La droite se permet toujours plus d’outrances et à la prochaine élection, on en a un encore plus vilain que Sarko qu’il faut « éviter à tout prix ». Dès lors, le couvert est remis pour encore plus de vote futile.

Bien sûr, on peut douter du fait que le curseur du centre politique cesserait sa dérive si le PS faisait campagne sur son projet plutôt que sur le vote futile, tant le PS lui-même est en pleine dérive droitière. Cependant, on peut déjà dire que la dérive serait moins rapide. De plus, le PS obligé de se découvrir serait forcé, soit de revenir à gauche, soit de se démasquer comme parti de droite. Cela laisserait alors la place à gauche pour une véritable alternative.
Une atmosphère baignée par le débat d’idée sera toujours plus favorable à la gauche. Il faut en effet, pour que la gauche se relève, qu’on se déshabitue d’écouter les discours des politiciens comme on écoute des spots de pub. Il faut apprendre à remettre en cause les évidences, à raisonner, pour pouvoir résister au fort pouvoir d’injonction du système médiatique (qui passe par l’omniprésence des médiacrates mais aussi de manière très importante par la publicité, le divertissement et parfois par les fictions).

Votez donc pour vos idées et si vous vous inquiétez de l’efficacité de votre vote, militez (que ce soit au sein d’un parti ou non).

Si ça vous plaît pas, qu'on comprend rien, que c'est qu'un ramassis de banalités, dites le ! Commentez ! J'adore le débat qui fait progresser les idées.

6 commentaires:

  1. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  2. En lien avec la question du vote (f)utile: j'ai entendu dire que les sondages de deuxième tour n'avaient pas le droit de proposer des candidats dont la place au 2e tour semblerait trop improbable. Ideal pour empècher les gens de prendre conscience du fait que ni Sarko ni Hollande ne seraient des gagnants de Condorcet.

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  3. je sui militant PG comme toi (j'ai écrit juste avant toi, sur le blog du monde pour le pauvre bonhomme qui nous supliait de voter hollande.. xD) et je publie ton papier sur mon facebook (évidement avec ton surnom ^^) BRAVO !!

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  4. @jomjomjom Ce n'est pas moi qui ais mis le truc sur le blog du monde. Ceci dit, merci de diffuser ma prose (quel que soit le surnom auquel elle est associée).

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